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Le billet d'humeur du prof

Le billet d'humeur du prof

Un regard sur l'école

Je tombe le masque

        Ce qui va suivre n'est que pure fiction. Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Encore que

 

        Comme tous les mardis matin, je me prépare à donner la première heure de cours de la journée. 8h30, les élèves sont installés ou presque. Quant à moi, je suis à mon bureau, et je lis de façon mécanique le nom des 25 élèves de ma classe. Parfois, je lis un prénom, personne ne répond et pourtant je le coche présent. C'est dire combien au bout d'un certain nombre d'années, les tâches que l'on exécute ne sont même plus pensées. Un élève qui ne perd pas une occasion de parler me dit après que j'ai fini l'appel que j'ai oublié de noter l'absence de son camarade. Ouf !

 

        A moitié réveillé, j'observe mes élèves. Un silence de quelques secondes, presque gênant. Mais la mise en scène est pensée cette fois-ci. Je soulève mon stylo et le dirige vers celui qui devra réciter le cours précédant. J'entends le soupir de soulagement des autres élèves délivrés. Puis, lorsque je m'apprête à poser des questions à l'élève désigné, une sourde déflagration s'abat dans la salle de classe qui suffit à nous immobiliser tous. Les chaises en tremblent. Mon cartable se retrouve projeté à l'autre bout de la salle. On entend un court instant plus tard le bruit de sa chute sur le sol. Il n'y a plus que ce cartable qui occupe nos esprits puisque plus aucun bruit ne retentit. Pas un cri d'affolement. Je relève mon col. Je dois faire fi de ce qui se passe pour rassurer mon auditoire. Je me suis toujours dit que c'était ainsi que devait se comporter un professeur quand un danger se présentait. Le cours doit continuer, tout va bien.

 

        Les élèves, quant à eux, ne disent pas un mot. Ils ne comprennent pas ce qu'il se passe. Ils me fixent sévèrement. Et au lieu de me précipiter en dehors de la salle pour voir ce qu'il se passe, chercher une information, appliquer la marche à suivre, je me rends compte que je ne peux plus bouger désormais. Je suis comme cloué à ma chaise. Impossible de me lever. Je suis le témoin passif des conséquences de cette explosion qui a figé mes élèves. Quelque chose ne tourne pas rond.

 

        J'essaie de m'expliquer ce qui vient de nous arriver. Mais rien, toujours rien. Les secondes passent. Et si nous avions été victimes d'une attaque bactériologique ? L'impact aurait été responsable du tremblement de la pièce et l'effroi que nous subissons serait le résultat de cette substance que nous aurions ingurgité malgré nous ! Il ne me manquait plus que ça. Comme si je n'avais suffisamment pas encaissé depuis que je suis enseignant.

 

        Soudain, je vois les élèves se parler entre eux. Mais aucun son ne sort de leur bouche. Sans doute les effets de cette substance. Ils me regardent. Hagards. Mais à quoi peuvent-ils bien penser en me regardant de la sorte ? Je ne peux rien faire. Je suis comme eux, glacé par la détonation. Curieusement, je crois ressentir leurs sentiments. Je vois la tristesse des uns, la colère des autres. Le manque de confiance en soi des uns, la souffrance des autres. Je vois ce que je n'ai jamais vu. J'aimerais pouvoir les aider et continuer de jouer le rôle de professeur qui m'a été attribué, mais rien à faire.

 

        Les élèves se mettent à se lever, sans autorisation. D'autres se permettent même de rire. A faire comme bon leur semble. Mais je suis toujours là, que font-ils ? Deux élèves décident même de sortir de la salle. C'est le flou total.

 

        Je divague. Les effets sont de plus en plus durs à supporter. Perdu pour perdu, je me dis que je peux faire n'importe quoi. On ne m'entendra pas. Alors je sens ma bouche gesticuler mais aucun son ne sort. Je dis tout ce que je pense. Je me mets à insulter ceux qui rient. Nous sommes dans le même bateau à la dérive et voilà qu'ils se permettent encore des écarts ! J'essaie de me lever comme je peux. Impossible. Je parviens seulement à donner de toutes mes forces un coup sur la table sans raison, juste pour me défouler. Ensuite, je fronce les sourcils et crie sur les deux terreurs de cette classe. Fini la bienséance. Plus de filtre ! Ils n'ont que ce qu'ils méritent. Une réprimande ô combien méritée. Fini les explications à la mords-moi le nœud. Je tombe le masque. Et je ris car personne ne réagit. Et je peux dire tout ce qu'il me plaît.

 

        Tout à coup, les affiches de ma salle tombent par terre. Personne ne le remarque sauf moi. Puis, plus étrange encore, une table au fond de la salle se met à léviter doucement mais surement. Elle est à mi-hauteur. On dirait que quelqu'un la soulève. Il faut dire que j'ai déjà vu des tables voler dans ma carrière. Mais de là à qu'elle se soulève sans l'action d'un élève rebelle qui exprime sobrement son mécontentement, il y a un pas de franchi que j'aurais préféré éviter.

 

        Elle se met alors à vaciller de droite à gauche. Aucun des élèves ne semble s'en inquiéter. C'est une histoire entre la table et moi. C'est du moins ce que je finis par comprendre. Dangereusement, je la vois qui s'approche lentement vers moi. Je ne peux toujours pas bouger. Attaché à ma chaise, je fixe cette table. En tout cas, j'essaie. J'en ai oublié l'événement ahurissant dont nous sommes victimes.

 

        Et là, alors que la table qui se rapprochait de moi disparaît au même moment que les affiches reprennent leur place, j'entends la voix d'une élève assise à l'une des deux tables en face de mon bureau :

 

        - Tout va bien Monsieur ?

        - Oui, mets ton masque correctement s'il te plaît.

 

 

 

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