Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le billet d'humeur du prof

Le billet d'humeur du prof

Un regard sur l'école

L'école du futur

        Ce qui va suivre n'est que pure fiction. Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Encore que…

 

        08 juin 2081, Clarence se rend au rectorat de Créteil. En effet, elle a candidaté pour le poste de professeur nouvelle génération. Cela fait des années que l'on s'y préparait. De suppressions de postes en suppressions de postes, tout le monde s'y attendait. Mais là, l'Education nationale proposait un programme prometteur : un enseignant par établissement accompagné d'un responsable informatique pour gérer les cours à distance. Des mises en situation d'apprentissage naturel sont proposés aux élèves une fois connecté sur la plateforme dédiée. Fini les « activités ». L'institution a pensé à tout. Même la terminologie se veut encore plus bienveillante.

 

        Le jury est composé de quatre pontes du système. Ils savent exactement ce qu'ils cherchent. Ils ne sont pas dupes. Ils sauront reconnaître celui ou celle qui veut ressortir les formules à la mode, qui veut leur faire croire qu'il ou elle a les épaules larges ou qui serait bien trop soumis à leur exigence. En réalité, ils cherchent quelqu'un d'intelligent mais qui sait se taire pour le système. Le professeur nouvelle génération doit défendre bec et ongles toute ce que représente la grande réforme « L'école connectée - 2081 ». Il doit également être suffisamment solide pour affronter les attaques de parents mécontents, de syndicats factieux et d'associations contestataires. Ce professeur du futur occupera un rôle de chef d'établissement et il sera en première ligne localement pour affronter les critiques.

 

        Clarence s'est préparée à cet entretien. Elle ne veut surtout pas boucher les trous de la fonction publique comme tous les autres professeurs qui y seront contraints s'ils n'arrivent pas à se maintenir dans l'Education nationale pour le peu de postes qu'il restera. Elle a préparé des fiches. Elle est également formatrice. Elle connaît par cœur le discours Education nationale. D'ailleurs, en qualité de formatrice, quand elle est sollicité, elle répond de manière automatique. Elle ne saurait même pas vous redire ce qu'elle a répondu cinq minutes après avoir pourtant brodé sur les bienfaits du pédagogisme, et pour cause. La lobotomie de Clarence a été un succès.

 

        Il est 15h quand l'entretien commence. Elle se présente alors, parle de son parcours, de son investissement et de son intérêt pour ce poste. Puis, il faut répondre aux questions du jury. C'est la partie que redoute Clarence. Parler devant des élèves ne lui a jamais posé de problème. Ils ne l'ont jamais écoutée. Quant aux professeurs, c'était du gâteau pour elle que de les berner tellement ils sont malléables et coopératifs pour la plupart. En revanche, s'exprimer devant ses supérieurs hiérarchiques lui paraît bien difficile. Elle sait très bien que s'ils sont à cette place, ils la dépassent allègrement en matière de rouerie.

 

        Quand on l'interroge sur la manière dont elle va incarner sa mission devant les critiques en tout genre, elle explique d'abord qu'elle est au fait des attendus d'un tel poste et qu'il s'agira de représenter l'Etat comme le faisait jadis le chef d'établissement. Mais le jury en veut plus. Il veut savoir concrètement comment Clarence va se débrouiller devant des situations types.

 

        Clarence est mise en difficulté mais elle tient le choc. L'une des mises en situation concerne le rapport qu'elle entretiendra avec les syndicats. Elle indique au jury qu'elle saura prendre note de leurs revendications mais faire ce qui était initialement prévu par la direction académique. Cependant, lorsque vient l'exemple des parents opposés vivement à cette réforme car elle dessert la cause de leurs enfants à cause de l'orientation automatique des élèves vers des cursus choisis par l'intelligence artificielle, des commentaires maladroits mais qui révèlent le fond de sa pensée lui échappent :

 

        - Ils n'auront qu'à s'y accommoder ! Enfin, je veux dire, la réforme est faite pour leur bien. S'ils ne sont pas satisfaits par l'orientation imposée par l'interface e-collège, je leur expliquerai que c'est ce qu'il y a de mieux. L'intelligence artificielle est une valeur sûre. On le sait maintenant.

 

        En effet, Clarence n'en a rien faire des élèves tout comme de leurs parents. Ce qui compte pour elle, c'est sa carrière. Elle veut ce poste à tout prix. Et elle croit que c'est perdu. Elle craint que son emportement lui fasse défaut. Après coup, elle regrette de ne pas avoir proposé plutôt quelque chose de plus « bienveillant » comme par exemple, échanger avec les parents mécontents, revenir sur certaines décisions automatiques et ainsi prendre le temps de pallier la mécanique déshumanisée de cette école connectée. Elle est persuadée que l'institution attend, malgré tout, de la part de ses agents qu'ils aient le soucis de trouver un terrain d'entente avec les parents. Le soir même, elle en parle à ses amis et leur annonce la triste nouvelle : c'est raté ! Mais elle assure de réessayer l'année prochaine.

 

        Contre toute attente, elle est rappelée la semaine suivante. Elle remplit parfaitement les conditions requises pour ce poste. Elle sera professeure nouvelle génération dans le collège 8 en Seine-et-Marne. Le jury a apprécié son expérience professionnelle au service de l'Education nationale et son intérêt certain pour l'école du futur, l'école connectée. A partir de septembre 2081, Clarence pourra, quant à elle, se déconnecter, une fois pour toutes, de l'intérêt des élèves.

 

LIRE AUSSI :​​​​​​​

Enseigner en 2091

Partager cet article

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :