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Le billet d'humeur du prof

Le billet d'humeur du prof

Un regard sur l'école

La prison dorée

        Ce qui va suivre n'est que pure fiction. Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Encore que

        La salle commune de la prison est bondée. Les regards se croisent. Les compagnons de cellule rient, parlent ou pleurent parfois. Je leur parle aussi. Un peu blasé, je répète les mêmes choses. C'est comme si les gens autour de moi étaient des personnages de jeux vidéos. Tout semble irréel. Certains ressassent ce qu'ils ont vécu pendant leurs travaux d'intérêt général. Je fais parfois mine de les écouter et de me sentir concerné. Un compagnon de cellule me disait toujours :

 

        - Quand tu n'as pas envie de parler, tu hoches la tête.

 

        Pendant ce temps, d'autres se montrent optimistes. Ils essaient de tenir bons comme ils peuvent : « Plus que dix ans à tirer, et je serai libre ! ». Tout le monde n'a pas cette chance. Certains sont parfois seulement à leur première année.

 

        Je profite des quelques minutes de temps libre qu'il me reste pour fermer les yeux un instant. Oublier ce qui m'attend. Imaginer un autre moment, un ailleurs d'un autre temps. Je respire. Et puis, la sonnerie retentit. La pause est terminée. Comme des moutons, voilà que nous nous précipitons non sans douleur, vers les pièces dédiées aux TIG dont certains sont encore en train de parler alors que nous marchons le sourire faux jusqu'à la salle de torture, en passant par la cour, éclair de liberté.

 

        Les numéros inscrits au sol permettent de nous répartir les uns et les autres. Chacun se voit réserver une pièce. Il n'y a pas vraiment de règle. En tout cas, je ne me presse pas comme certains qui veulent vite en finir. Je prends mon temps. Un temps précieux. L'air frais est à savourer. On y a droit toutes les deux heures.

 

        D'un pas lourd, nous montons les marches. Il faut garder la tête haute, faire fi de ce qui se passe autour : les insultes, la bousculade, la violence. Il faut avancer et retrouver la pièce qui nous est attribuée pour les TIG. On a tous cru que l'on avait de la chance au début. Un nombre d'heures de présence limité, des contrôles très rares et surtout des autorisations de sortie régulières. En bref, une prison dorée.

 

        Mais finalement, on aurait préféré un autre centre de détention où les travaux ne sont pas un calvaire. Ici, le bruit ne s'arrête pas. Et la salle est pleine. Tout le monde vous regarde, attend la moindre erreur, la moindre faille. Alors il ne faut pas se laisser faire. Affronter l'adversité. Ne pas se taire. Pas si simple. Alors parfois, je m'assois et j'attends. Personne ne m'en empêche. Pourvu que je ne me plaigne pas. Aujourd'hui, je me suis plains des cris et bruits dans cette salle. Impossible de s'en débarrasser, le maton est venu me les ramener :

 

        - Ce n'est pas un motif ! Vous devez les garder !

 

        J'en avais parlé une fois au directeur de prison. Il pensait pareil que le maton. Il m'a dit que si tout le monde faisait comme moi, ils ne pourraient pas s'en sortir. C'est à n'y rien comprendre. Comme si les rôles étaient inversés. C'est moi le détenu et c'est lui le directeur qui se montre en position de faiblesse… Le monde à l'envers !

 

        A midi, je profite de cet instant de semi-liberté loin des travaux forcés, pour manger le plat répugnant de la cantine. Aucun goût. Tout est fait pour nous écœurer de tout. C'est formidablement bien organisé. J'ai arrêté de critiquer la nourriture qui nous est donnée. Elle ne changera pas. Mange et tais-toi. Pour me motiver à manger ces plats préparés avec froideur, je simule le plaisir de les déguster. Humm.

 

        Après manger, il faut retourner à sa corvée. J'y vais sans broncher. Même contexte de chaos autour de moi. Pas le choix. Epuisé, je me motive comme je peux. Il ne me reste que trois heures à tirer. Je parle, je gueule aussi quand le bruit ne veut pas cesser. Je décide un moment de faire comme si de rien n'était. Je présente ce que j'ai élaboré bon gré mal gré. Je fais des grands gestes de la main pour me donner une contenance. Je fais varier les sonorités de ma voix. Cela m'occupe. Le temps est moins long quand on varie les plaisirs.

 

        Parfois, des regards complices me ramènent à la raison. Tout n'est peut être pas fichu. Mais une minute plus tard, patatras ! Tout ce que j'abhorre dans ces tâches répétitives revient au galop : la distribution, le ramassage et surtout le remue-ménage.

 

        Les heures passent, mais une lumière sommeille en moi. Elle me rappelle le bout du tunnel. Encore quelques instants, et j'aurais droit à ma liberté provisoire. Alors je souris béatement. Comme l'enfant à qui l'on va donner finalement sa récompense, son bon point, mieux encore, son image… L'image de son triste sort.

 

        A quelques minutes de la fin, la tension est palpable. On dirait que j'ai assez donné pour aujourd'hui et que j'ai droit à un peu de répit. Le brouhaha augmente tout naturellement à mesure que les dernières secondes s'écoulent. De plus en plus fort, et je n'y peux rien. 17 heures et 5 minutes. Le son aigu de la sonnerie résonne dans les couloirs et dans les salles. J'expire. Le bruit tarde à cesser, quand soudain, Léo, 13 ans et demi me dit :

 

        - Monsieur, c'est pour lundi prochain le devoir ?

        - Non. C'est pour lundi dans quinze jours. Bonnes vacances !

 

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