Aliyah

        Ce qui va suivre n'est que pure fiction. Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Encore que…

        Jonathan en était sûr. Professeur était le métier qu'il lui fallait. Quelle belle mission que de transmettre son savoir aux citoyens de demain… Il en était ému chaque jour qu'il entrait dans le collège dans lequel il enseignait. Ce métier, c'était sa passion. Les cours étaient soigneusement préparés et il prenait plaisir à mettre en scène ses séances de cours.

        Pourtant, mardi dernier, une tempête nommée Aliyah s'est abattue dans sa salle de classe. Les tables en tremblaient, les élèves survoltés ricanaient et criaient, laissant Jonathan dans l'effroi. Aliyah, pour une histoire de manteau qu'elle refusait de retirer car elle avait froid, s'est laissée emporter par la colère, écrasant tout sur son passage :

        - Vas-y toi, ferme là, avec ta grosse tête, lança-t-elle alors à Jonathan, abasourdi.

        Il n'en croyait pas ses oreilles. Que s'était-il passé ? Lui, qui pensait tout prévoir, lui qui se pensait intouchable, lui dont la pédagogie ludique épatait les collègues en mal de méthodes modernes, s'était fait bousculé par une tempête qui sommeillait ces semaines passées au fond de sa salle.

        Il demanda alors à Aliyah de sortir, il avait tout de même un cours à faire. Il n'allait quand même pas se laisser faire ! Aliyah sortit et claqua la porte avant que l'élève qui devait l'accompagner chez le CPE ne puisse la suivre.

        Jonathan était en colère. Il voulait que cette élève soit sanctionnée. Elle n'allait pas prétendre qu'il avait une grosse tête en toute impunité ! Et l'humilier ainsi, devant le reste de la classe ? Non, c'en était trop. Jonathan en avait gros.

        Le lendemain matin, impatient de pouvoir aller en parler au CPE, ce dernier lui proposa un entretien. Il veut en toute logique pouvoir reparler de ce « clash » avec Jonathan.

        - Tu sais, Aliyah, vit des choses difficiles... Elle a des problèmes de famille...

        - Ah oui ? Mais alors l'insulte ? Que fait-on ?

        - Sa tante qui la garde le mercredi a mal au dos...

      - D'accord, mais elle m'a insulté ! On doit marquer le coup, tu ne penses pas ? Comment lui faire prendre conscience de cet écart ?

        - Et puis, son frère, dispensé des cours d'EPS, à cause de sa phobie du sport ! 

     - Oui, je comprends bien, mais comment lui faire comprendre qu'elle est allée trop loin ? Quelle sanction ?

        Jonathan n'y comprenait plus rien. C'est comme si le CPE vivait dans un monde parallèle. Il recrachait en roue libre le discours lui permettant de recevoir les honneurs car lui, au moins, pense à l'élève. Oui, il place l'élève au centre de tout et comprend le contexte social de ces adolescents. Pourvu que cela permette d'éviter de consacrer du temps à la sanction. Pourvu que cela garantisse une certaine paix sociale.

        Arrivé chez le principal, voilà que Jonathan se voit resservir la même salade, toute aussi frelatée. Une piqure. Un shoot de bienveillance artificielle par voie intraveineuse. Etourdi, il comprit le sort qui lui était réservé. Apprendre à se raconter des histoires et approuver ce discours de ces acteurs de terrain rompus à l'exercice du mensonge.

        Tiraillé entre l'envie de faire selon ce qu'il pense être juste et l'opinion dominante dans cette institution gangrénée, il essaie en bon missionnaire de l'Education nationale de jouer sur les deux tableaux et ainsi ne pas trahir ce qu'il considère comme sa vocation. Le cours suivant avec Aliyah, ne sachant plus trop quoi dire, plus trop comment opérer, il tente d'expliquer presque coupable, qu'il va faire en sorte de passer à autre chose même s'il attend des excuses… Avant d'en finir avec ses sornettes, Aliyah rétorqua :

- Quoi ? Je vais pas être exclue ?!